Communication d CEDETIM à la Commission DLH
COMMISSION DES DROITS DE LHOMME 61ème session Point 9 de lordre du jour du programme provisoire Original : FRANCAIS QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE LHOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES OU QUELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE Communication écrite présentée conjointement par le Centre Europe-Tiers Monde (organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif général) et lAssociation américaine de juristes (organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif spécial) Le Secrétaire général a reçu la communication écrite suivante qui est distribuée conformément à la résolution 1996/31 du Conseil économique et social. [10 février 2005] De la reconstruction à la privatisation de lIrak En dépit du fait que la coalition anglo-étasunienne navait strictement aucun droit sur lIrak et ses ressources en tant que force occupante, elle a privatisé lensemble de léconomie de ce pays souverain, puis la livré aux sociétés étrangères, sous couvert de la politique de reconstruction. Paul Bremer, ladministrateur civil de lautorité provisoire de la coalition nommé par le gouvernement Bush, a édicté durant ses 13 mois de pouvoir 100 ordonnances (Coalition Provisional Authority Orders). Elles font maintenant office de nouvelles lois nationales sans que le peuple irakien nait eu son mot à dire à un moment ou à un autre. Aucun contrôle démocratique na contre-balancé les décisions prises par la coalition qui vont pourtant changer diamétralement léconomie de lIrak. Un véritable arsenal juridique a été mis en place pour imposer la privatisation de léconomie nationale et du secteur public au seul bénéfice des grandes sociétés étrangères. LIrak devient une des économies les plus libérales du monde sans aucune forme de protectionnisme. Nombre de ses lois sinspirent dailleurs daccords commerciaux bilatéraux et multilatéraux que les Etats-Unis imposent à leurs « partenaires » comme lALENA ou léventuelle future ZLEA . Ainsi, les sociétés étrangères jouissent dune marge de manuvre illimitée pour leurs affaires en Irak et nont de compte à rendre à personne. Des ordonnances contraire au principe de la souveraineté nationale La majorité de ces ordonnances sont en contradiction flagrante avec la Constitution irakienne de 1990 et les conventions de la Haye (1907) et de Genève, ratifiées par les Etats-Unis, qui stipulent toutes deux que lEtat occupant doit respecter les lois du pays occupé. Elle sont de plus en violation de la propre loi étasunienne traitant de ce sujet The Law of Land Warfare (1956). Notre attention va se porter sur certaines de ces ordonnances, celles qui sont au cur du processus de privatisation de lIrak et qui violent de manière flagrante la souveraineté politique et économique de ce pays. La première ordonnance du 16 mai 2003, loin dêtre symbolique, instaure la débaathification de lEtat et de toutes les structures de décision du pays et pousse au chômage des milliers dIrakiens. Le taux de chômage toucherait près de 50% de la population active, voire 70% comme à Basra. Ouverture du marché national aux sociétés et investisseurs étrangers Parmi les ordonnances promulguées par ladministrateur civil se trouve lordonnance 39 qui porte sur les investissements étrangers. Celle-ci joue un rôle central dans la marche forcée de lIrak vers le néolibéralisme. Lobjet de cette ordonnance selon son préambule est de « faire évoluer lIrak dune économie planifiée et centralisée vers une économie de marché ». En fait, il sagit denlever toute souveraineté ou prérogatives en matière économique aux futures autorités irakiennes. Cette ordonnance comporte 5 points principaux : 1) Elle permet aux investisseurs étrangers de jouir exactement des mêmes droits que les Irakiens pour lexploitation du marché national. Ainsi, les gouvernements futurs ne pourront pas favoriser une société ou un investisseur irakien. Pourtant il est clair que jusquà maintenant ce sont les sociétés étasuniennes qui ont été privilégiées au détriment de leurs consoeurs irakiennes ; 2) Elle privatise lensemble du secteur public irakien. Ainsi, cest plus de 200 compagnies nationales qui sont touchées : chemins de fer, réseau électrique, distribution et évacuation des eaux infrastructures détruites en majorité par la coalition anglo-américaine-, télévisions et radios, hôpitaux alors que les soins étaient gratuits-, téléphonie il sagirait dimposer le standard étasunien pour les portables CDMA en Irak-, aéroports, etc. même les prisons pourraient être privatisées à terme ; 3) Elle permet une participation étrangère jusquà 100% dans une entreprise irakienne, à lexception des secteurs pétroliers, de lextraction minière, des banques et des compagnies dassurance (ces deux dernières seront traitées dans des ordonnances séparées ) ; 4) Elle permet dexpatrier ou de réinvestir sans aucune restriction ou taxe lensemble des fonds investis ou placements financiers, ainsi que les profits ou dividendes réalisés sur le territoire irakien. Les sociétés étrangères peuvent donc investir où bon leur semblent et retirer leurs fonds selon leur volonté sans avoir de compte à rendre à quiconque. Ce point sinspire clairement de lAccord multilarétal sur les investissements (AMI) qui avait été combattu victorieusement par les mouvements sociaux au niveau international et que lOCDE avait dû finalement abandonner ; 5) Elle permet de posséder des terres pendant 40 ans et avec la possibilité de renouveler le droit de propriété de manière illimitée. Grâce lordonnance 37 , les sociétés étrangères nont pas été imposées en 2003 et nont payé des impôts quhauteur maximum de 15% en 2004. Lordonnance 12 a suspendu la collecte de toutes les taxes dimportation, droits de douane (par mer ou par ciel), etc. pour tous les produits qui sont rentrés ou sortis dIrak en 2003. Lordonnance 38 a réintroduit une taxe dimportation de 5% sur les marchandises, avec de très nombreuses exceptions, pour une période de deux ans. Ainsi, la nourriture, les médicaments et les vêtements entre autres sont exemptés de taxes dimportation, tout comme les forces de la coalition et leurs sous-traitants. Pour Paul Bremer ces mesures ont été prises pour favoriser la reconstruction du pays. Privatisation des semences et importation dOGM Une nouvelle loi permet dacquérir des brevets entre autres sur le vivant. Lordonnance 81 sur « Les brevets, le design industriel, linformation non révélée, les circuits intégrés et la loi sur les variétés de plantes » est en totale contradiction avec la Constitution irakienne de 1990 qui interdisait la propriété privée sur les ressources biologiques . Cette ordonnance rend ainsi illégale la pratique traditionnelle et millénaire de sélection des meilleures semences par les agriculteurs et donne le champs libre aux compagnies étrangères pour imposer leurs semences brevetées et leurs prix. Elle permet aussi dimporter et de commercialiser des organismes génétiquement modifiés (OGM). La durée des brevets est de 20 ans pour les plantes agricoles et de 25 ans pour les vignes et les arbres. La souveraineté alimentaire du peuple irakien est gravement remise en cause par cette loi. De plus, on ne peut abstraire cette loi du contexte dans lequel elle voit le jour où la responsabilité de la coalition vis-à-vis du peuple irakien est fortement engagée : la situation alimentaire est réellement critique, voire catastrophique. Un Irakien sur quatre est dépendant du système public de distribution de nourriture. Selon le dernier rapport de lONG britannique Medact, 17% des enfants sont en dessous de leur poids normal et 32% en malnutrition chronique . En octobre dernier, lOrganisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture (FAO) annonçait une production céréalière de 2,4 millions de tonnes pour 2004, soit près de la moitié du volume de 2003 . Une grande partie du système de purification des eaux a été détruit ou saboté ce qui provoque de graves diarrhées chez les enfants et les personnes âgées et favorise la propagation des maladies. Dans cette situation, comment les agriculteurs irakiens pourront-ils faire face à la concurrence des sociétés transnationales de lagro-alimentaire qui, de plus, comme indiqué, jouiront aussi dune exonération totale des taxes dimportation ? Parallèlement profitant de son autorité, ladministrateur civil a fait les premiers pas en direction de ladhésion de lIrak à lOrganisation mondiale du commerce (OMC) en demandant le statut dobservateur pour ce pays (11 février 2004). La souveraineté de ce pays a une nouvelle fois été bafouée. Quant au gouvernement intérimaire irakien qui lui a succédé, après avoir été mis en place par les Etats-Unis, il a déposé officiellement une demande de candidature en octobre dernier soutenue par Washington. En huit mois seulement, lIrak est passé du statut dobservateur à celui de candidat à ladhésion alors quhabituellement il faut au minimum cinq ans. Les pays membres de lOMC ont donné leur feu vert le 13 décembre dernier à louverture des négociations. Droit à la santé et à la vie La population irakienne a subi en 20 ans : trois guerres, des bombardements massifs à luranium appauvri et plus de dix ans dembargo. Il y aurait, selon les chiffres les plus alarmants, plus de 100000 victimes civiles irakiennes directes ou indirectes depuis loffensive anglo-étasunienne le 19 mars 2003 . 18 mois après la fin de la guerre, « le risque de mourir à cause des violences [ ] est 58 fois plus élevé que 15 mois avant la guerre. Le risque de mourir de nimporte quelle cause est 2,5 fois plus élevé quavant linvasion » selon lONG Medact . Depuis mai 2003, les forces de la coalition nont jamais été capables de protéger les civils mais sagissait-il encore dun objectif ? A linstar de la Colombie, lIrak est un des pays les plus dangereux pour les syndicalistes. Le 4 janvier dernier, Hadi Salih, secrétaire international de la Fédération des syndicats irakiens (IFTU), a été assassiné chez lui. Le 27 janvier, le président du Syndicat des mécaniciens, de la métallurgie et des imprimeurs a été enlevé. Par ailleurs, à plusieurs reprises des soldats de la coalition ont arrêté ou tenté dintimider des travailleurs syndiqués et la coalition na annulé la loi interdisant de former des syndicats dans le secteur public quen mars 2004 soit 10 mois après la prise de pouvoir de ladministrateur civil. Immunité totale pour les forces doccupation et le personnel étrangers Lordonnance 17 garantie limmunité juridique aux occupants et à leurs sous-traitants en Irak. Elle donne aux Etats dorigine la responsabilité de les traduire en justice, mais le gouvernement Bush a déjà pris des dispositions pour leur assurer aussi limmunité aux Etats-Unis. Grâce à lExecutive Order 13303 , les entreprises étasuniennes actives dans lindustrie pétrolière en Irak ne risquent aucune poursuite pour infraction à la législation si cette infraction a lieu dans le cadre de lextraction pétrolière et du rétablissement de linfrastructure pétrolière en Irak. Conclusion Les réformes économiques imposées par la coalition anglo-étasunienne ne visent pas à satisfaire les besoins et priorités du peuple irakien, la détérioration de la situation sanitaire et alimentaire depuis deux ans le démontrent aisément. Elles nont pour seule logique que le pillage des ressources de ce pays au profit des sociétés étrangères et de faire de lIrak le fer de lance de léconomie néolibérale dans la région. De plus, les entreprises étrangères pratiquent souvent des tarifs prohibitifs comme le montrent certaines études. Pourtant elles ont été choisies à maintes reprises par ladministrateur civil au détriment des sociétés irakiennes. De plus, la gestion par la coalition et Paul Bremer du Fonds de développement pour lIrak, crée par la résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité, et qui doit centralisé les bénéfices des ventes pétrolières et gazéifères, laisse aussi à désirer . Les décisions prises par ladministrateur civil sous mandat de la coalition sont contraires au droit international. La Convention IV de La Haye de 1907 dit clairement dans son article 43 que « l’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. » et dans son article 55 que « l’Etat occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l’Etat ennemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces propriétés et les administrer conformément aux règles de l’usufruit. ». Ces ordonnances nont malheureusement pas été remises en cause par le gouvernement provisoire en place depuis 28 juin 2004, mais en avait-il le pouvoir ? Ses membres ont tous été « approuvés » par le gouvernement Bush et la résolution 1546 (2004) du Conseil de sécurité demande au gouvernement provisoire de sabstenir « de prendre des décisions affectant le destin de lIrak au-delà de la période intérimaire ». Cependant, ladministrateur civil a quant à lui pu modifier à sa guise et diamétralement le système économique irakien hypothéquant lavenir de millions de personnes. Quant aux élections du 30 janvier 2005, les conditions de leurs tenues sont des plus étonnantes, nous faisant douter de leur réelle légitimité et légalité. Ainsi, plus de 70 partis les ont boycottés, la plupart des candidats étaient anonymes et sans programme électoral, les observateurs internationaux, nombreux en Ukraine, étaient pratiquement absents dans le pays et se trouvaient basés à Amman en Jordanie. Le Centre Europe Tiers Monde et lAssociation américaine de juristes estiment que la Commission des droits de lhomme, dans le cadre strict de son mandat, devrait adopter une résolution : 1) condamnant sans ambiguïté les violations du droit international et le droit humanitaire qui sont en train dêtre commises en Irak depuis lagression ; 2) favorisant une enquête concernant ces violations et la mise à la disposition de la justice de ses auteurs ; 3) favorisant une solution pacifique et démocratique avec la participation sans exclusion de tous les secteurs du peuple irakien dans le cadre du respect de la souveraineté et du droit à la libre autodétermination de lIrak, solution qui requiert comme première priorité le retrait immédiat de larmée doccupation. 4) Demandant que le peuple irakien soit consulté sur les décisions prises par ladministrateur civil durant son mandat, ainsi que sur ladhésion du pays à lOrganisation mondiale du commerce. 5) Demandant quun audit soit mené sur lutilisation des fonds gérés par le Fonds de développement pour lIrak.