Entretien exclusif avec Mordechaï Vanunu
Entretien exclusif avec Mordechaï Vanunu
Mordechaï Vanunu : « Cest parce quIsraël détient la bombe atomique quil peut pratiquer sans crainte lapartheid »
par Silvia Cattori
14 octobre 2005
Ingénieur au centre de Dimona, Mordechaï Vanunu révéla, en 1986 au Sunday Times, lexistence du programme nucléaire militaire israélien. Enlevé en Italie par le Mossad alors quil venait de contacter les journalistes britanniques et avant que leur article ne paraisse, il fut jugé à huis clos et emprisonné dix-huit ans. Bien quinterdit de contact avec la presse, il a répondu aux question de Silvia Cattori pour le Réseau Voltaire.
Silvia Cattori : Quel était votre travail en Israël, avant que des agents du Mossad ne vous kidnappent à Rome, en octobre 1986 ?
Mordechaï Vanunu : Depuis neuf ans, je travaillais au centre de recherches en armements de Dimona, dans la région de Beer Sheva. Juste avant de quitter ce travail, en 1986, javais pris des photos à lintérieur de lusine, afin de montrer au monde quIsraël cachait un secret nucléaire. Mon travail, à Dimona, consistait à produire des éléments radioactifs utilisables pour la fabrication de bombes atomiques. Je savais exactement quelles quantités de matières fissiles étaient produites, quels matériaux étaient utilisés et quelles sortes de bombes étaient fabriquées.
Révéler au monde seul que votre pays était secrètement détenteur de larme nucléaire , nétait-ce pas là prendre un très grand risque ?
Mordechaï Vanunu : Si jai décidé de le faire, cest parce que les autorités israéliennes mentaient. Elles se répandaient, répétant que les responsables politiques israéliens navaient nullement lintention de se doter darmes nucléaires. Mais, en réalité, ils produisaient beaucoup de substances radioactives ne pouvant servir quà cette seule fin : confectionner des bombes nucléaires. Des quantités importantes : jai calculé quils avaient déjà, à lépoque en 1986 ! plus de deux cents bombes atomiques. Ils avaient aussi commencé à fabriquer des bombes à hydrogène, très puissantes. Aussi ai-je décidé de faire savoir au monde entier ce quils tramaient dans le plus grand secret. Et puis, aussi, je voulais empêcher les Israéliens dutiliser des bombes atomiques, afin déviter une guerre nucléaire au Moyen-Orient. Je voulais contribuer à apporter la paix dans cette région. Israël, détenant déjà des armes surpuissantes, pouvait faire la paix : il navait plus à redouter une quelconque menace palestinienne, ni même arabe, car il possédait tout larmement nécessaire à sa survie.
Vous étiez préoccupé par la sécurité, dans lensemble de la région ?
Mordechaï Vanunu : Oui. Absolument. Bien entendu, ce nest pas pour le peuple israélien que jai fait ce que jai fait. Les Israéliens avaient élu ce gouvernement, et ce gouvernement avait décidé de les doter darmes nucléaires. Vous savez, tous les Israéliens suivent de très près la politique du gouvernement israélien
Mais, en ce qui me concerne, je réfléchissais à partir du point de vue de lhumanité, du point de vue dun être humain, de tous les êtres humains vivant au Moyen-Orient, et aussi de tous les êtres humains, dans le monde entier. Parce que ce quIsraël avait fait, beaucoup dautres pays pourraient le faire.
Une du quotidien britannique "The Sunday Times" du 5 octobre 1986 : "Révélation : les secrets de larsenal nucléaire israélien"
Aussi ai-je décidé, dans lintérêt de lhumanité, de faire connaître au monde entier le danger que représentaient les armes nucléaires secrètes dIsraël. En 1986, on était en pleine Guerre froide et les armes nucléaires proliféraient. Elles étaient en train de se répandre dans plusieurs pays encore non-nucléaires, comme lAfrique du Sud, et dautres. Le danger représenté par les armes nucléaires était réel. De nos jours, ce danger a diminué.
Saviez-vous à quoi vous vous exposiez ? Pourquoi était-ce vous, en particulier, qui deviez prendre un si grand risque, et personne dautre ?
Mordechaï Vanunu : Bien entendu, je savais ce que je risquais. Mais ce que je pouvais faire, personne dautre que moi naurait pu le faire. Je savais que jaurais eu affaire au gouvernement israélien. Ce nest pas comme si javais été quelquun qui sen serait pris à des intérêts privés ; je savais que je men prenais directement au gouvernement israélien et à lÉtat juif israélien. Je savais donc quils pouvaient me châtier, quils pouvaient me tuer, quils pouvaient faire de moi absolument tout ce quils voulaient. Mais javais la responsabilité de dire la vérité au monde. Personne dautre que moi nétait en mesure de le faire : il était donc de mon devoir de le faire. Quels quaient été les risques.
Votre famille vous a-t-elle, alors, soutenu ?
Mordechaï Vanunu : Les membres de ma famille ont été incapables de comprendre ma décision. Pour eux, le plus dérangeant fut de découvrir que je métais converti au christianisme. Pour eux : cétait plus dommageable, plus douloureux que le fait que jai révélé les secrets nucléaires dIsraël Je les respecte, ils respectent ma vie. Nous sommes restés en bons termes, mais nous ne nous fréquentons plus.
Vous sentez-vous seul ?
Mordechaï Vanunu : Oui. Bien sûr, je suis seul, ici, à la cathédrale Saint-Georges. Mais jai beaucoup damis, qui me soutiennent.
Dans quelles conditions avez-vous été jugé et emprisonné ?
Mordechaï Vanunu : Mon procès a été tenu dans le secret le plus absolu. Jétais seul, avec mon avocat. Jai été condamné pour espionnage et trahison. Les autorités israéliennes se sont vengées sur moi en me maintenant en isolement cellulaire durant toute la durée du procès. Elles nautorisaient personne à me voir ni à me parler, et minterdisaient de madresser aux médias. Elles ont publié beaucoup de désinformation à mon sujet. Le gouvernement israélien a utilisé tout son pouvoir médiatique pour faire un lavage de cerveau de lopinion publique. Pour laver le cerveau des juges, aussi, au point de les convaincre de la nécessité de me mettre en prison. Ainsi, mon procès a été tenu secret et les médias nont pas pu accéder à la vérité ; ils nont pas pu mentendre. Les gens étaient convaincus que jétais un traître, un espion, un criminel. Il ny eut pas un atome de justice, dans ce jugement. Mais il ny avait pas que le procès : le plus cruel fut de misoler, en prison. Ils mont puni non seulement par lemprisonnement, mais aussi en misolant totalement, en mépiant en permanence, au moyen de mauvais traitements particulièrement vicieux et cruels : ils ont essayé de me faire mettre en colère, ils ont essayé de me faire regretter ce que javais fait. Jai été maintenu au secret, dix-huit années durant, dont onze années et demie en isolement total. La première année, ils ont mis des caméras dans ma cellule. Ils ont laissé la lumière allumée trois années daffilée ! Leurs espions me battaient sans cesse, ils mempêchaient de dormir. Jai été soumis à un traitement barbare ; ils ont tenté de me briser. Mon objectif était de tenir, de survivre. Et jai réussi !
Par chance, on ne vous a pas pendu haut et court, comme le voulait pourtant le ministre de la Justice dalors, Tommy Lapid. Vous avez tenu bon, et vous avez été relâché le 21 avril 2004. Vous aviez tout juste 50 ans !
Mordechaï Vanunu : Sils mont relâché, cest parce que javais purgé les dix-huit ans de prison auxquels ils mavaient condamné. Ils voulaient me tuer. Mais, en fin de compte, le gouvernement israélien a décidé de nen rien faire.
En avril 2004, les télévisions ont montré votre sortie de prison. Le monde a alors découvert ce qui vous était arrivé. Vous êtes apparu devant les caméras heureux, déterminé, combatif : tout le contraire dun homme brisé
Mordechaï Vanunu : Sortir de prison, aller parler au monde entier, fêter ça après dix-huit ans de captivité, dinterdiction de tout : ce fut un grand moment
Vos geôliers nont donc pas réussi à vous briser mentalement ?
Mordechaï Vanunu : Non ; absolument pas. Mon objectif était de sortir, et de parler au monde entier, de faire comprendre aux autorités israéliennes quelles avaient échoué. Mon but était de survivre, et cela a été ma plus grande victoire sur toutes ces organisations despionnage. Ils ont réussi à me kidnapper, à me traîner devant leur tribunal, à me maintenir en prison, au secret, pendant dix-huit ans et jai survécu à tout ça. Jai souffert, certes ; mais jai survécu. Malgré tous leurs crimes, je suis toujours vivant, et je suis même en excellente santé ! Je suis de forte constitution ; cest sans doute grâce à çà, que jai surmonté lépreuve.
Quest-ce qui vous a aidé à tenir ?
Mordechaï Vanunu : Ma fermeté. Le fait de continuer à être convaincu que javais eu raison de faire ce que javais fait. La volonté de leur faire comprendre que, quoi quils fassent pour me châtier, je continuerais à rester en vie.
Quel est le plus grand obstacle auquel vous ayez à faire face, actuellement ?
Mordechaï Vanunu : On minterdit de quitter Israël. Jai été libéré de prison, mais ici, en Israël, je suis dans une grande prison. Je voudrais quitter ce pays, aller jouir de la liberté dans le vaste monde. Jen ai marre du pouvoir israélien. Larmée peut venir marrêter à tout instant, me punir. Je sens que je suis à leur merci. Jaimerais tellement vivre loin, très loin dici
Quand Israël vous laissera-t-il quitter le pays ?
Mordechaï Vanunu : Je nen sais rien. Ils mont interdit de quitter Israël pendant une année. Un an ayant passé, ils ont renouvelé linterdiction pour une nouvelle année, qui prendra fin en avril prochain. Mais ils peuvent encore prolonger linterdiction, aussi longtemps quil leur plaira
Quel regard portez-vous sur le Traité de non-prolifération nucléaire quand, dans le cas dIsraël, on tolère « lambiguïté nucléaire », alors quon met constamment sous pression lIran un pays qui, lui, se soumet aux inspections ?
Mordechaï Vanunu : Tous les pays devraient être ouverts aux inspections internationales et dire la vérité sur ce quils sont en train de faire, secrètement, dans toutes les installations nucléaires dont ils disposent. Israël na pas signé le Traité de non-prolifération nucléaire. Ce sont près de cent quatre-vingt pays qui lont fait, dont tous les pays arabes. LÉgypte, la Syrie, le Liban, lIrak, la Jordanie : tous les pays voisins dIsraël ont ouvert leurs frontières aux inspections de lAIEA. Israël est le pire exemple. Cest le seul pays qui ait refusé de signer le Traité de non-prolifération nucléaire. Les États-Unis et lEurope devraient commencer par régler le cas dIsraël ; Israël doit être considéré à linstar de nimporte quel autre pays. Nous devons en finir avec lhypocrisie, et obliger Israël à signer le Traité de non-prolifération nucléaire. Il faut imposer à Israël le libre accès des inspecteurs de lAIEA au centre de Dimona.
LIran, qui remplit ses obligations et accepte les inspections de lONU, est pourtant menacé de sanctions. Israël, qui est doté de larme nucléaire et refuse toute inspection de lAIEA, ne fait lobjet daucune poursuite. Pourquoi ce « deux poids, deux mesures » de la part des États-Unis, mais aussi de lEurope ?
Mordechaï Vanunu : Oui ; cest même encore pire que ce que vous dites : non seulement on ne sen prend pas à Israël, mais on aide même ce pays en secret. Il y a une coopération secrète entre Israël et la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis. Ces pays ont décidé de contribuer à la puissance nucléaire dIsraël afin de faire de ce pays un État colonial, dans le monde arabe. Ils aident Israël, parce quils veulent que ce pays soit à leur service, en tant que pays colonialiste contrôlant le Moyen-Orient, ce qui leur permet de semparer des revenus pétroliers et de maintenir les Arabes dans le sous-développement et les conflits fratricides. Telle est la principale raison de cette coopération.
LIran nest-il pas, comme laffirment Israël et les États-Unis, une menace ?
Mordechaï Vanunu : Étant sous le contrôle des inspecteurs de lAIEA, lIran ne représente aucun danger. Les experts occidentaux savent parfaitement quelle est la nature du programme nucléaire iranien. Contrairement à Israël, qui ne laisse personne accéder à ses installations nucléaires. Cest la raison pour laquelle lIran a décidé daller de lavant et de dire au monde entier : « Vous ne pouvez pas exiger de nous plus de transparence, alors que vous continuez à fermer les yeux sur ce qui se passe en Israël ! » Tous les Arabes voient, depuis quarante ans, quIsraël a des bombes atomiques et que personne ne fait rien contre ça. Tant que le monde continuera à ignorer les armes atomiques dIsraël, il ne pourra pas se permettre de dire quoi que ce soit à lIran. Si le monde est vraiment préoccupé, et sil veut sincèrement mettre un terme à la prolifération nucléaire, quil commence donc par le commencement, cest-à-dire : Israël !
Vous devez être agacé, quand vous entendez Israël, qui nest pas en règle, dire quil est prêt à bombarder lIran, qui, à ce stade, na enfreint absolument aucune règle !
Mordechaï Vanunu : Oui ; cela me met hors de moi. Nous navons rien à reprocher à lIran : avant de faire quoi que ce soit contre un quelconque autre pays, il faut soccuper du cas israélien. Si quelquun veut sen prendre à lIran, il doit, préalablement, sen prendre à Israël. Le monde ne peut ignorer ce quIsraël fait, en la matière, depuis plus de quarante ans
Les États-Unis devraient obliger Israël à signer le Traité de non-prolifération nucléaire. Et il est grand temps, aussi, pour lEurope, de reconnaître officiellement quIsraël possède des bombes atomiques. Lensemble du monde arabe devrait être extrêmement inquiet en entendant tous ces discours qui incriminent lIran, qui ne possède aucune arme atomique, et qui continuent à ignorer Israël.
Lors dun transfert, suite à son son emprisonnement en 1986, Mordechaï Vanunu transmet les détails de son enlèvement par le Mossad, à Rome, aux journalistes à travers la vitre du fourgon de la police israélienne
Quels sont les États qui ont coopéré avec Israël ?
Mordechaï Vanunu : Israël a aidé la France et la Grande-Bretagne dans leur campagne contre lÉgypte, en 1956. Après lopération de Suez, la France et la Grande-Bretagne ont commencé à coopérer au programme nucléaire israélien, afin de remercier Israël pour le soutien quil leur a apporté, durant cette guerre.
LAfrique du Sud na-t-elle pas aidé Israël, jusquen 1991 ?
Mordechaï Vanunu : Cest effectivement en Afrique du Sud, dans le désert, quIsraël a procédé à ses essais nucléaires
Dans les années soixante, le président Kennedy aurait, semble-t-il, demandé quil y ait des inspections à Dimona, en Israël. Voyez-vous un lien entre cette demande et son assassinat ?
Mordechaï Vanunu : Je pense quà lépoque de Kennedy, les États-Unis étaient opposés au programme nucléaire israélien. Kennedy a tenté darrêter Israël, en la matière, mais son assassinat ne lui en a pas laissé le temps Pour moi, le mobile de lassassinat de Kennedy est lié à la diffusion darmes nucléaires en Israël et dans dautres pays. Ceux qui lont assassiné étaient des gens qui étaient favorables à la dissémination nucléaire. Grâce à lélimination du gêneur Kennedy, la prolifération a pu continuer. De fait, les présidents Johnson et Nixon [qui ont succédé à Kennedy, ndt] ny voyaient aucun inconvénient : ils ont laissé faire Israël. Constatons simplement que cest bien un changement allant en ce sens qui sest manifesté, après lassassinat de Kennedy
Votre dénonciation na pas empêché Israël de maintenir taboue cette question : il a réussi à ne pas se mettre les grandes puissances à dos. Sa stratégie de lopacité se serait-elle donc avérée efficace ?…
Mordechaï Vanunu : Force est bien de reconnaître que oui. Israël est un cas décole. Comment un petit pays peut-il défier le monde entier et poursuivre une politique agressive, sans le moins du monde se préoccuper des autres ? Les Israéliens ont réussi à le faire, à lépoque, oui Mais aujourdhui, le monde a changé. La Guerre froide est terminée, le communisme est défait, le monde soriente vers la paix : on le voit, des armes nucléaires naideront Israël en rien. Maintenant quIsraël doit montrer quil désire la paix, et de quelle manière il entend y contribuer, pour ce pays, de quelle utilité pourraient bien être des armes nucléaires ? La politique nucléaire israélienne était possible, dans le contexte de la Guerre froide. Mais aujourdhui, nous devons obtenir dIsraël quil adopte une nouvelle politique, quil démontre au monde entier quil veut la paix et quil reconnaisse quil na nul besoin darmes atomiques.
Dans les années cinquante, Israël disposait déjà dun armement considérable. Quelle raison avait-il alors de se doter de larme nucléaire ?
Mordechaï Vanunu : Un pays aussi petit quIsraël na aucune raison valable de détenir un nombre aussi énorme darmes atomiques. Cest un peu comme si le programme darmement nucléaire dIsraël lui était monté à la tête. On ne peut en aucun cas utiliser darme atomique dans la région : toute bombe atomique qui serait utilisée contre la Syrie, lÉgypte ou la Jordanie aurait des effets radioactifs et rendrait la vie impossible en Israël également. Toute bombe endommagerait Israël même. Jusquici, les Israéliens nont pas même le droit de discuter de cette question entre eux. Néanmoins, ce problème occupe tous les esprits. Nous attendons la réponse dIsraël sur cette question.
Pour Israël, ne sagit-il pas dune arme qui lui permet de maintenir le statu quo ? Dun instrument de chantage politique ? Pour pouvoir discuter dégal à égal avec les grands États-Unis en tête et ne rien concéder aux Arabes, quIsraël a spoliés et qui sont faibles militairement ?
Mordechaï Vanunu : Oui. Cest tout à fait cela. Israël utilise la puissance des armes nucléaires afin dasséner ses politiques. Israël a beaucoup de pouvoir, il écrase lensemble de ses voisins de son arrogance. Les États-Unis même eux ! ne sont pas en mesure de dire aux Israéliens ce quils doivent faire. Aujourdhui, lEurope voit à quel point Israël est puissant. Même sans utiliser la bombe atomique, même sans brandir la menace quils le feraient, les Israéliens peuvent imposer leur pouvoir, ils peuvent faire absolument tout ce quils veulent : ils peuvent ériger leur muraille, ils peuvent édifier des colonies en Palestine
, personne nest en mesure de leur dire quils nont pas le droit de le faire, parce quils sont extrêmement puissants.
Photo prise secrètement par Mordechaï Vanunu à lintérieur de la centrale de Dimona
Cest là le résultat de leur utilisation des armes atomiques à des fins de chantage politique. Ils peuvent utiliser des bombes atomiques contre tout pays qui voudrait stopper leur politique agressive à lencontre des Palestiniens. Telle est la situation, aujourdhui. Le monde entier le sait, tout le monde le sait. Et il y une autre raison, pour laquelle ni les États-Unis ni lEurope ne font strictement rien : cest quils savent à quel point Israël est puissant. Par conséquent, la meilleure manière de contrer Israël consiste à faire savoir la vérité au monde et à étudier ce qui sy passe, dans le domaine de larmement atomique, jusquà ce quil y renonce.
Israël a-t-il envisagé de recourir à larme nucléaire contre ses voisins arabes, en 1973 ?
Mordechaï Vanunu : Oui. En 1973, Israël était prêt à utiliser des armes atomiques contre la Syrie. Et contre lÉgypte.
Pour avoir révélé un secret dÉtat, vous avez énormément souffert. Finalement ; pour quel résultat ?
Mordechaï Vanunu : Tout dabord, le monde a maintenant la preuve quIsraël possède des armes atomiques. Personne, désormais, ne peut plus ignorer la vérité en ce qui concerne le projet nucléaire dIsraël. Après ça, Israël sest trouvé dans limpossibilité totale davoir recours à ces armes. Un autre résultat de mon action, cest le fait que le monde a pris conscience de ce que ce petit État juif a fait, dans le plus grand secret. Et le monde a découvert, aussi, sur quels mensonges et sur quelle désinformation cet État a été édifié. Le fait de savoir quun si petit pays ait été capable de fabriquer secrètement deux cents bombes atomiques a contribué à alerter lopinion publique mondiale sur son comportement. La peur quun autre petit pays puisse faire la même chose et fabriquer des armes atomiques a incité le monde à se mettre à réfléchir à la manière de stopper la prolifération nucléaire et dempêcher Israël daider dautres pays à utiliser ces armes, à lavenir. Quand le monde a découvert ce quIsraël a fait dans le plus grand secret, la peur de la prolifération nucléaire sest manifestée. Le monde a pris conscience du pouvoir dIsraël et il a commencé à exercer des pressions sur ce pays afin de le contraindre à faire la paix avec les Palestiniens et avec le monde arabe. Israël navait plus aucune raison daffirmer quil redoutait ses voisins arabes, dès lors quil disposait, depuis la fin des années cinquante, de suffisamment darmes pour assurer sa sécurité.
Pour quelles raisons Israël continue-t-il de vous persécuter ?
Mordechaï Vanunu : Ce que jai fait contrarie tellement toutes les attitudes politiques israéliennes ! Les Israéliens ont dû changer leurs plans. La politique nucléaire secrète dIsraël est luvre de Shimon Pérès. Et voilà que cette politique consistant à fabriquer des armes atomiques clandestinement sest effondrée ! À cause de cette révélation, Israël a dû emprunter une nouvelle direction, définir de nouveaux plans et ce à quoi nous assistons aujourdhui est la conséquence de mes révélations. Ils ont dû inventer de nouvelles sortes darmes. Aujourdhui, ils construisent leur muraille, leurs check-points, leurs colonies et ils se sont arrangés pour rendre la société juive plus religieuse, plus nationaliste, plus raciste. Au lieu daller dans une autre direction, au lieu de comprendre quil ny a pas dautre solution que la paix, au lieu de reconnaître aux Palestiniens des droits égaux et de mettre un terme au conflit. Israël ne veut pas mettre fin au conflit. Ce quIsraël veut, cest continuer à construire sa muraille et ses colonies !
Vous avez accompli un véritable exploit !
Mordechaï Vanunu : En tant quêtre humain, jai fait quelque chose pour la sécurité et le respect de lhumanité. Tout pays a le devoir de nous respecter, tous, en tant quêtres humains, quelle que soit notre religion, que lon soit juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes Israël a un gros problème : ce pays ne respecte pas les êtres humains. Ce que ce pays a pu faire, parce quil ne considère pas les autres humains comme des égaux, est absolument terrible. Le résultat est dévastateur, pour limage dIsraël ; lÉtat dIsraël nest en aucun cas une démocratie. LÉtat juif est raciste. Le monde devrait savoir quIsraël met en pratique une politique dapartheid : si vous êtes juif, vous avez le droit daller où vous voulez et de faire ce que bon vous semble ; si vous nêtes pas juif, vous navez aucun droit. Ce racisme est le véritable problème auquel Israël est confronté. Israël est bien incapable de prouver quil est une démocratie. Personne ne peut accepter cet État raciste ; ni les États-Unis, ni les pays européens. Les armes nucléaires israéliennes, ils pourraient, à la rigueur, les accepter Mais comment pourraient-ils justifier cet État dapartheid fasciste ?
Vous semblez refuser de reconnaître la légitimité de cet État ?
Mordechaï Vanunu : Bien sûr. Cest ce que jai dit, à ma sortie de prison : nous ne devons pas accepter cet État juif. LÉtat juif dIsraël est le contraire de la démocratie ; nous avons besoin dun État pour tous ses citoyens, sans égard pour leurs croyances religieuses. La solution, cest un État unique, pour tous ses habitants, de toutes les religions, comme cest le cas dans des démocraties comme la France ou la Suisse, et non pas seulement un État pour les juifs. Un État juif na absolument aucune raison dêtre. Les juifs nont pas besoin dun régime fondamentaliste comme celui qui règne en Iran. Les gens ont besoin dune véritable démocratie, qui respecte les êtres humains. Aujourdhui, dans la région du Moyen-Orient, nous avons deux États fondamentalistes : lIran, et Israël. Mais Israël est très en avance, en matière de fondamentalisme, même sur lIran !
À vos yeux, Israël est-il donc une plus grande menace que lIran ?
Mordechaï Vanunu : Bien entendu : nous savons ce que les Israéliens font subir au peuple palestinien, depuis plus de cinquante ans ! Il est grand temps, pour le monde, de sen souvenir et de se préoccuper de lholocauste palestinien. Les Palestiniens ont tellement souffert, et depuis tellement longtemps, à cause de toute cette oppression ! Les juifs ne les respectent absolument pas, ils ne les considèrent pas comme des êtres humains ; ils ne leur accordent aucun droit, et ils continuent à les persécuter, à mettre en danger la vie présente des Palestiniens, et par conséquent leur propre avenir, aussi.
Que dites vous à mon pays, la Suisse, qui est dépositaire des Conventions de Genève ?
Mordechaï Vanunu : La Suisse devrait condamner très clairement et à haute voix la politique raciste dIsraël, cest-à-dire toutes les violations des droits des Palestiniens, tant musulmans que chrétiens. Tous les pays doivent exiger du gouvernement israélien quil respecte les non-juifs, en tant quêtres humains. De fait, je nai pas le droit de vous parler, je ne suis pas autorisé à parler à des étrangers ; si je mexprime quand même, cest à mes risque et périls. Israël a utilisé des dédommagements de lHolocauste pour fabriquer des armes, pour détruire des maisons et des biens palestiniens. Je serai très satisfait si votre pays me donne un passeport et maide à quitter ce pays, Israël. La vie est très dure, ici. Si vous êtes juif, vous navez aucun problème ; si vous ne lêtes pas [ou plus], on vous traite sans le moindre respect.
Silvia Cattori journaliste suisse