Grande Bretagne: La fin du habeas corpus
Grande Bretagne: La fin du habeas corpus
Source: http://wb.attac.be/Grande-Bretagne-La-fin-de-l-habeas.html
Au Royaume Uni, des procédures dexception peuvent désormais être appliquées à des ressortissants nationaux soupçonnés dactivités terroristes. |
Ce que G.W. Bush na pas réussi à imposer au niveau des Etats-Unis, la possibilité pour le gouvernement de prendre, dans le cadre de la lutte antiterroriste, des mesures remettant en cause le droit des citoyens de disposer deux-mêmes, Tony Blair est parvenu à limposer au sein du Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, les procédures permettant détendre aux ressortissants nationaux les dispositions du Patriot Act autorisant lemprisonnement à durée indéterminée, sans charges et sans inculpation, de tout étranger suspecté de terrorisme, nont pas été adoptées. Le projet, connu sous le nom de Patriot II , qui voulait retirer leur nationalité aux Américains accusés de terrorisme et, ainsi, placer ces personnes sous le régime réservé aux étrangers, a toujours été repoussé. En faisant voter une modification de la partie 4 du Terrorism Act 2001, qui permet également la détention illimitée détrangers, sans preuves et sans jugement, le premier ministre anglais est parvenu à étendre aux individus disposant de la nationalité britannique, toute une série de procédures dexception qui remettent en cause les libertés individuelles de tous les britanniques. Afin de justifier son projet Tony Blair a fait appel à la peur. Il a affirmé "Cette loi est réclamée par la police et les services de sécurité. La repousser, cest mettre en danger la sécurité du pays"
La fin de lHabeas Corpus
La nouvelle loi, The Prevention of Terrorism Bill, finalement votée le 11 mars 2005, autorise le ministre de lIntérieur à prendre des mesures de contrôle pouvant conduire aux arrêts domiciliaires dune personne, lorsquil « a des raisons fondées de soupçonner quun individu est ou a été impliqué dans une action liée au terrorisme » (article 1 (1) (a)). Il pourra également lui interdire lutilisation dun téléphone mobile, limiter son accès au Net, lempêcher davoir des contacts avec certaines personnes, lobliger à être chez lui à certaines heures, autoriser la police et les services spéciaux à avoir accès à toute heure à son domicile. Il a également la possibilité de limiter son accès à un emploi ou à une occupation. (article1(3)) Ces dispositions pourront être prises lorsque le ministre de lIntérieur considère que lindividu présente un danger pour la sécurité nationale, mais que les éléments en sa possession ne lui permettent pas de porter laffaire devant un tribunal. Le ministre de lIntérieur a déclaré que les mesures de contrôle peuvent être prises sur « base dun avis fondé donné par les services de sécurité quil y a une suspicion raisonnable quun individu est ou a été concerné par le terrorisme »
Ce qui justifie la décision de placer une personne sous contrôle ne se trouve pas dans des éléments objectifs mais dans le soupçon qui porte sur elle ou dans lintention qui lui est attribuée. Lactivité terroriste est définie comme « la commission, la préparation ou linvestigation dactes de terrorisme », mais aussi « quand elle est conduite pour donner aide ou assistance à des individus dont on sait ou on pense quils sont impliqués dans des activités ayant rapport au terrorisme » ou quand elle a pour but "dencourager la commission, la préparation ou linvestigation de tels actes" ou dencourager celui "qui a lintention de le faire". (article 1(8)) Ainsi la loi ne porte pas sur des actes définis, mais punit laide à des personnes qui sont simplement soupçonnées dactions ou dintentions liées au terrorisme. Cette notion est particulièrement indéterminée et subjective. Son champ dapplication est très large, quasiment illimité et totalement incontrôlable. Quest une activité liée au terrorisme ? Est ce, par exemple, avoir hébergé des personnes, qui plus tard seront soupçonnées de participer ou davoir eu lintention de participer à des actions terroristes désignées comme terroristes ou faire partie dun comité de soutien de prisonniers politiques ?
La réaction de la Chambre des Lords fut problématique pour le gouvernement. Elle a dabord rejeté le projet en considérant le texte comme une atteinte aux libertés. Elle finit par laccepter après trente heures de débat et après avoir obtenu que les mesures de contrôle soient prises avec laval dun tribunal. Surtout, la Chambre haute a imposé que le vote de la loi soit assorti dune clause (sunset clause) de révision dun an. Ainsi, la loi sera soumise de nouveau à la discussion en juillet 2006. Les travaux dune commission indépendante, chargée de suivre lapplication de la loi, doivent servir de base aux futurs travaux parlementaires.
Un état dexception généralisé
Si la décision est prise par le ministre de lintérieur en accord avec un tribunal, cette garantie judiciaire, obtenue par la chambre des Lords, na rien a voir avec une procédure judiciaire classique qui garantit les droits de la défense. Ici, la défense na pas accès au dossier comprenant les éléments à charge et na aucune possibilité de contester ces éléments. Seuls ont accès à ces données le juge et des "avocats spéciaux » désignés par le ministre de lIntérieur. Ces derniers sont chargés de transmettre le point de vue de la défense, sans fournir à celle-ci les éléments de "preuve » retenus contre elle et sans lui donner la possibilité de les contredire. La décision est prise en labsence de la personne incriminée. Contrairement à ce quaffirme le ministre de lIntérieur, cette procédure dexception na rien à voir avec la détention préventive de longue durée, telle quelle est appliquée en matière de terrorisme, par des pays comme lEspagne ou lAllemagne. Dans ce cadre, la détention est uniquement ordonnée par un juge, la personne incriminée peut connaître les charges qui sont retenues contre elle. La défense a la possibilité de contester les preuves ou les raisons de la détention.
Les mesures de contrôle peuvent être prises sur base de renseignements fournis par un service de sécurité. Cette source peut être étrangère au Royaume-Uni et provenir, par exemple, des Etats-Unis. Lors des débats au sein de la Chambre des Lords, le gouvernement avait concédé que laccusation ne pourrait pas utiliser des éléments à charge obtenus par le biais de la torture. Cependant, le gouvernement ne semble pas avoir renoncé à utiliser de tels renseignements. Le quotidien The Independent a relaté les déclarations du ministre des affaires étrangères affirmant que si « la torture est complètement inacceptable, le pays ne peut pas ignorer les renseignements obtenus par ce biais par les Américains, surtout si la vie de 3000 personnes est en jeu » . Le sort réservé par le gouvernement aux prisonniers de nationalité anglaise incarcérés à Guantanamo est un bon exemple dapplication anticipée de cette loi. Quatre Britanniques, détenus à Guantanamo depuis plus de trois ans, ont été libérés en janvier 2005. Après avoir été interrogés par la police antiterroriste anglaise, ils furent libérés un jour plus tard. Aucune charge ne fut retenue contre eux. Ce fait nempêche pas le ministre de lIntérieur de les considérer comme présentant un danger terroriste pour la Grande-Bretagne. Il a pris, à leur égard, des mesures de contrôle, telles que linterdiction de voyager à létranger et limpossibilité dobtenir un passeport. Il justifia ces mesures sur base de renseignements obtenus lors dinterrogatoires à Guantanamo . Ainsi, sur base de « renseignements » donnés par les Etats-Unis, obtenus dans des conditions de torture ou de mauvais traitements, et sans possibilité de vérification ou de contestation, les prisonniers libérés de Guantanamo, demeurent dans un système international de non droit.
The Prevention of Terrorism Bill 2005 fait suite à un jugement émis, le 16 décembre 2004, par la Cour dappel de la Chambre des Lords. La Cour sest prononcée à une écrasante majorité de huit juges contre un. Le jugement résulte dune saisie opérée par 9 détenus. Aucun des requérants nétait lobjet de poursuites judiciaires, ni incriminé daucune charge. La plus haute instance judiciaire britannique considérait comme illégale et contraire à la Convention européenne des droits de lHomme la détention illimitée, sans inculpation et sans procès, détrangers soupçonnés dactivités terroristes . Il considérait également comme discriminatoire la distinction entre étrangers et nationaux. Le jugement est un simple avis sans force contraignante. Le gouvernement pouvait ne pas en tenir compte. Mais, celui-ci a finalement considéré que la prise en considération du jugement était une bonne occasion de légitimer la généralisation de dispositions dexception à lensemble de la population. The Prevention of Terrorism Act 2005, se présente comme non discriminatoire, puisquil concerne tout autant les citoyens britanniques que les étrangers. Lélément le plus significatif de cette nouvelle loi est le fait quelle généralise la suspension du droit aux nationaux. Elle met fin à un double système dorganisation juridique : Etat de droit pour les nationaux et violence pure pour les étrangers. La suppression de lhabeas Corpus est genéralisé à lensemble des habitants. On entre dans un état dexception généralisé.
Etat dexception ou dictature
A travers les attendus du jugement de la Cour des Lords condamnant le Terrorism act 2001, apparaît clairement lopposition entre une définition classique de létat dexception défendue par la Cour, une disposition limitée dans le temps et objectivement définie, et celle du gouvernement, qui veut installer une suspension indéfinie et incontrôlable des garanties constitutionnelles. Le jugement stipule que ce type dincarcération, illimitée et sans jugement, autorisée par le Terrorism Act 2001, est bien en contradiction avec larticle 5 de la Convention européenne des droits de lhomme, qui garantit la liberté des personnes. Le jugement invalide, par la même, la dérogation établie par le gouvernement à cet article de la Convention. La Cour rejoint largument présenté par les requérants selon lequel, les dérogations à larticles 5, étant étroitement circonscrites aux situations de guerre ou durgence mettant en péril la vie de la nation, ne sont pas applicables à la situation présente. Pour la Cour, létat dexception est limité dans le temps. Il doit faire face à un danger imminent ou à des circonstances exceptionnelles, qui doivent être objectivement déterminées. La Cour soppose à largumentation présentée par lAttorney General (ministre de la Justice), pour qui une situation durgence nest pas nécessairement temporaire et peut couvrir un nombre considérable dannées . Pour lui, il est du ressort du pouvoir exécutif de protéger les populations Il se doit donc de résister « à limposition de limites temporelles artificielles » aux procédures dexception. Pour le pouvoir exécutif, la question de la suspension des libertés est « dordre purement politique », dans le sens étroit du terme, cest à dire quelle relève de sa propre initiative et du "contrôle" du Parlement. Comme, « cest la fonction du politique, et non celle dinstances judiciaires, de résoudre des questions politiques », la question de la dérogation au droit doit échapper aux différentes instances judiciaires. A cette position, le tribunal opposait la conception selon laquelle le rôle des Cours consiste dans le contrôle de la légalité des actes des différents pouvoirs.
En imposant une clause de révision au Prevention Security Act 2005, en permettant que la loi soit évaluée après un an, la Chambre des Lords maintient celle-ci dans le cadre formel dun état dexception, puisque ces mesures pourront être abrogées à cette date. Le gouvernement ne voulait fixer aucune limite temporelle, la lutte antiterroriste étant conçue comme une guerre de longue durée contre un ennemi multiforme. Il na cependant aucunement renoncé à son projet et veut profiter de la procédure de révision pour faire adopter les mesures de contrôle libérées de leurs contraintes temporelles.