L’argumentation islamiste contre la France
Exemple de propagande anti-terroriste basée sur des dossiers secrets
Le Monde, 23 décembre 2005, p. 3
La menace des réseaux terroristes: Dans une note datée du 16 decembre, lUnité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) qualifie de particulièrement élevè le risque sur le territoire français.
La multiplication des opérations antiterroristes en France, ces derniers mois, indique-t-elle un regain d’activité islamiste sur le territoire’? Dans une note de synthèse datée du 16 décembre, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) – qui assure la liaison entre tous les services concernés (renseignements généraux, police judiciaire, direction de la surveillance du territoire) – qualifie, en tout cas, la menace de « particulièrement élevée» et en détaille les raisons.
Celles-ci relèvent à la fois de considérations opérationnelles, c’est-à-dire des mouvements de fond constatés au sein du djihadisme international, et d’une analyse de la politique intérieure et extérieure du gouvernement français. Tout – même les violences urbaines – peut servir de prétexte et être recyclé par l’islamisme radical pour justifier une opération terroriste sur le territoire, selon l’Uclat.
La première source d’inquiétude citée concerne la situation en Irak, nouvelle terre favorite de djihad pour les candidats radicalisés originaires d’Europe. Plusieurs enquêtes menées depuis un an indiquent que sept Français sont morts en Irak, dont au moins deux en kamikazes. Au moins treize autres sont partis se battre au côté des insurgés irakiens. Deux sont incarcérés sur place et quatorze autres en France, pour avoir aidé les volontaires.
Un « vivièr hétérogène»
L’Uclat souligne que l’acheminement vers l’Irak s’est fait « en dehors de toute filière structurée, donc identifiable ». Elle souligne la jeunesse et la conversion très rapide des candidats. « Une cinquantaine de personnes susceptibles dintégrer de telles filières font actuellement l’objet d’investigations », précise la note.
Le deuxième sujet d’inquiétude est le ralliement du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) au djihadisme international. Les activistes algériens se seraient plus particulièrement rapprochés des radicaux marocains et tunisiens pour unir leurs forces. Assurant que le GSPC a fait allégeance à Al-Qaida en septembre 2003, l’Uclat rappelle que Abdel-malek Droukdal, «son nouvel émir », a désigné la France, il y a deux mois, comme étant «l’ennemi numéro 1» de l’islam. « Cette fatwa ne peut qu’être récupérée par le vivier islamiste hétérogène présent dans notre pays», s’inquiète lUclat.
Le troisième point évoqué par les policiers français a été illustré récemment par l’opération conduite par la direction de la surveillance du territoire (DST), le 12 décembre, contre le groupe de Ouassini Cherifi : il s’agit des liens entre la mouvance radicale et la criminalité organisée. La note signale ainsi que le réseau de recrµtement dirigé par Safé Bourada, démantelé, lui, fin septembre, était composé de « délinquants de droit commun convertis à l’islam au cours de leur détention, qui étaient chargés du financement du groupe par des extorsions de fonds, des vols à main armée et le clonage de cartes bancaires».
Mais la partie la plus troublante du rapport de l’Uclat concerne« la perception par les islamistes de la politique extérieure et intérieure de la France »’. « Notre pays est lun des plus critiqués par la mouvance islamique dans le monde », pour des raisons fort diverses, souligne la note. Dans le domaine étranger, la présence d’un contingent militaire en Afghanistan est mal vue. La France serait accusee par la presse pakistanaise de « pervertir la jeunesse afghane » et d’etre un allié des Etats-Unis, avec lesquels elle collabore, en outre, au sein de la structure operationnelle bilaterale Alliance Base. Autre element à charge, ladoption de la resolution 1559 par les Nations unies contre la Syrie, initiative americano-française mal accueillie. Elle figure parmi les neuf motifs de frapper la France «avancés par lopérationnel syro-espagnol d’Al-Qaida, Mustapha Nasar Setmarian, dans un communiqué diffusé sur Internet le 1er décembre », dit la note.
Il existe egalement des sources d’inquiétude ayant trait à la politique interieure. Sans surprise, le premier qu’évoque l’Uclat est la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux ostensibles à l’ŽécoIe. Cette initiative a été denoncée à de nombreuses reprises dans des enregistrements vidéo attribués à des leaders islamistes. Dans un enregistrement sonore date du 18 mai, Abou Moussab Al-Zarkoui, figure de proue de la guerilla en Irak, avait denoncé les actions du «chrétien Chirac», qui «a ordonné de retirer le voile sur la tête des musulmanes».
« Veritable choc de culture»
Le dispositif antiterroriste franrçais, qui repose sur « la neutralisation préventive des individus », est également perçu comme étant agressif «à l’égard des musulmans ». Depuis 2002, Ie nombre de personnes liées à l’extremisme islamique qui ont été placees en garde à vue pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» a augmente de façon spectaculaire, selon les statistiques de la direction générale de la police nationale. De 58 individus en 2002, on est passé à 77 en 2003, à 101 en 2004 et à 170 depuis le 1er janvier.
Cette tendance confirme à la fois la multiplication des fronts pour les services antiterroristes, mais aussi leur inclinaison à ratisser large dans Ie cadre de la justice préventive à la française. Le nombre de perventive à la française. Le nombre de personnes écrouées, lui, a légèrement augmenté. De 23 en 2002, on est passé à 39 cette année, soit un total de 113 mandats de dépôt en quatre ans. Actuellement, 99 personnes suspectées d’activisme islamique sont détenues dans les prisons françaises
En dernier lieu, l’Uclat s’inquiète des risques de récupération des violences urbaines qui ont secoué les banlieues pendant près de trois semaines. Le traitement policier « risque d’être appréhendé (n.) comme un véritable choc de culture, de civilisation et surtout de religion par les éléments les plus radicaux», souligne l’Unité de coordination. Certes, aucun lien entre les violences et l’islam radical n’est apparu pendant les événements; néanmoins, l’Uclat juge que ces derniers sont «de nature à encourager certains jeunes délinquants acculturés, sans repères et en quête d’identité à se touner vers l’islamisme radical et le djihad, qu’ils n’auront aucun scrupule à mener à l’encontre d’une France qu’ils accusent de les rejeter. »