Pour une réconciliation entre Juifs et Arabes
(publié par Actualité de l’émigration, organe de l’amicale des Algériens en Europe, No. 67, du 10 décembre 1986)
Quoique je n’habite plus la Palestine depuis ma tendre jeunesse, je ne peux pas cacher ma passion pour ce pays tourmenté et ensanglanté. Né en Palestine en 1941 de parents juifs chassés de l’Allemagne nazie, je dois mon existence à la Palestine, terre de refuge pour mes parents, pays où je faillis être assassiné par des arabes en fureur, fus sauvé par des arabes au cœur d’or, pays dont je pleure les blessures.
J’ai vécu mes premières années dans une banlieue de Jérusalem, où juifs et arabes se côtoyaient en bonne entente. Notre famille eut des relations d’amitié avec des familles arabes du quartier. Ma mère, j’en suis fier, apprit l’arabe. Quant à moi, jamais je n’effacerai de ma mémoire et de ma chair les images, sons, odeurs et sensations innommables dont je fus imprégné à cet âge tendre. Je les porte quasiment dans mon sang et j’y trouve jusqu’à ce jour une source d’inspiration et une énergie vitale irremplaçable.
Le destin de ma vie a voulu que je m’éloigne physiquement de la Palestine et m’installe très loin du pays natal. Mon intérêt pour ce pays et les soucis qui m’agitent de plus en plus à son propos, ne se sont pas estompés malgré la distance.
Comme la plupart des jeunes juifs, j’étais sujet à une endoctrination sioniste systématique, dont la vision centrale pourrait se résumer dans la formule « nous les juifs … et les autres “. Mais il s’avérait par la suite que l’idéologie sioniste n’avait pas prise sur moi car elle contredisait ma propre expérience. Les tuteurs dans le mouvement de jeunesse socialiste et sioniste dans lequel je participais (en Europe), essayaient de me convaincre que l’antisémitisme était un phénoméne naturel et qu’il était futile de vouloir le combattre. Un non-juif, un “goï”, serait par principe un antisémite avoué ou inconscient. D’où je devais conclure que ma liberté et sécurité dépendait de mon installation dans le ghetto juif du moyen-orient, c’est-à-dire dans l’Etat sioniste. Les efforts de mes tuteurs restérent vains mais ils m’ont au moins appris que l’antisémitisme était nécessaire au sionisme. Je ne savais encore rien sur les aspects politiques du sionisme, de sa collusion avec l’impérialisme, de la tragédie du peuple palestinien.
Ce n’est que plus tard, par coup à coup, que j’appris l’ampleur de la mystification sioniste dont je fus dupe et de l’occultation du probléme palestinien. C’étaient des publications en hébreu, écrites par des juifs courageux, qui m’instruisaient les premiéres sur les crimes commis par une partie de mon peuple.
Dés lors, je ne peux que prendre acte de la tenacité, sagacité et générosité du mouvement de la résistance palestinienne, qui malgré toutes les défaites et humiliations subies, tend la main aux immigrés juifs et à leurs descendants en leur proposant un destin commun dans le cadre d’un état laïque et démocratique.
Il y a hélas trop de fanatiques religieux au moyen-orient qui veulent imposer aux populations, fut-ce par la terreur, des solutions étatiques venues d’un autre âge, au lieu d’ouvrir le Machreq sur le futur et sur le monde. L’Etat sioniste, l’Iran de Khomeini et l’Arabie séoudite sont des exemples de cette conception réactionnaire révoltante. C’est pourquoi j’affirme sans réserve qu’un état laïque et démocratique en Palestine est la seule solution juste et moderne au conflit palestinien, laquelle devrait être massivement supportée par tous ceux qui se réclament démocrates, en commençant par les pays occidentaux, qui se flattent d’être des démocraties exemplaires. Mais ce n’est pas assez d’établir un but. Il faut aussi choisir avec soin les moyens pour y arriver. Je pense même que c’est du choix de ces moyens que dépend en fin de compte le succés de l’entreprise.
Un des fondements du sionisme est son opposition à l’assimilation des juifs. Une vraie paix en Palestine, une convivialité authentique et organique entre juifs et arabes, saperaient à la longue la «pureté» juive de l’Etat sioniste par un processus naturel d’acculturation, voire d’arabisation. C’est pourquoi les dirigeants sionistes insistent tant sur le caractére “européen” de leur état, évitent de lui donner une constitution et établir un état civil (qui permettraient des mariages mixtes) et poursuivent une politique consciente de provocation à l’encontre des arabes. Seule une telle politique peut garantir une animosité des arabes envers les juifs, barrière naturelle à l’intégration des communautés et à l’assimilation. Le jour où la oumma arabe et spécifiquement la résistance palestinienne sauront vaincre non pas les corps, mais les cœurs des juifs, en leur offrant, sans arrières-pensées, une soulh honorable, en plaçant la convivialité juive-arabe en première priorité, en percevant la population juive de la Palestine comme un enrichissement pour le Machreq, les juifs ne manqueront pas à se détourner de l’idéologie raciste du sionisme. La lutte pour l’émancipation des juifs palestiniens est à mon avis la clé de voûte pour la solution de ce long conflit. Il est indispensable que la population juive de la Palestine, dont une bonne moitié est arabisante, puisse être gagnée à la cause de cette convivialité. Ce constat fait appel à une stratégie de lutte commune contre le sionisme, déterminée en fonction des besoins réels des couches populaires des deux peuples. Les juifs palestiniens devraient pouvoir se reconnaître dans la structure de la résistance et s’identifier avec ses buts et méthodes. Les premiéres conditions pour ce développement est l’établissement d’un climat de confiance et de respect mutuels entre les divers groupes qui luttent contre le racisme et le sionisme et la conviction qu’un destin commun pour tous les palestiniens n’est pas seulement désirable mais inéluctable. Tout cela implique certains changements à la stratégie de la lutte pour l’abolition des structures sionistes, pour la démocratisation et laïcisation du pays, pour son ouverture sur le futur.
Le mouvement de résistance populaire pour la Palestine future devra bien reconnaitre les affinités culturelles et religieuses qui lient les juifs à leur diaspora, les musulmans à l’oumma et les chrétiens à leurs églises respectives. La pluralité ethnique, religieuse et linguistique de la Palestine pose certes des problèmes complexes auxquels il faudra faire face avec courage, confiance, sagesse et équité. Cette diversité constitue en même temps une richesse formidable de facultés humaines, un potentiel extraordinaire pour le développement du pays, en dehors de toutes alliances impérialistes.
La besogne est grande et d’une actualité brûlante vu l’exacerbation du conflit en Palestine et la radicalisation religieuse de part et d’autre. Une nouvelle phase de la tragédie palestinienne n’est pas à exclure. Bien qu’il faut continuer à dénoncer la politique agressive de l’Etat sioniste et lutter sans cesse contre elle, seul un travail d’éducation politique à longue échéance, basé sur une stratégie humaniste et progressiste, peut débloquer le conflit et décrisper les populations.
En France, il se trouve qu’il y a de très grandes communautés juives et musulmanes. Ne serait-ce pas une contribution pour la paix si ces communautés établiraient un dialogue permanent, voire une coopération? Un tel rapprochement renforcerait les tendances humanistes dans les deux camps. Les hommes de bonne volonté des deux communautés ne manqueront certes pas à sentir l’opposition du mouvement sioniste et de certains courants fondamentalistes musulmans au dialogue. Mais je crois qu’une fois la nécessité historique du rapprochement reconnue et perçue comme hautement désirable, aucun sectarisme religieux ou nationaliste ne pourra le freiner.
Les formes d’un tel rapprochement peuvent varier. Je ne me sens pas apte à en préciser les contours mais me permettrai de proposer quelques unes: Débats entre personnalités religieuses, reconstitution objective de l’histoire judéo-musulmane, activités culturelles et populaires communes, cours de langue, stages dans des universités dans les pays arabes et dans les kibboutzim israéliens, voyages de groupes mixtes au Machreq, etc.
Seul un projet d’un humanisme radical et progressiste est, à mon avis, à la hauteur du probléme palestinien. Seul un projet de telle envergure et d’une grande générosité, est à mesure d’aviver les espoirs et l’esprit de fraternité. Verrons-nous le jour où la Palestine prendra sa place honorable dans le Machreq et dans la famille des nations comme nation de paix rayonnante?